Paul Gauguin et Ruahatu

Pourquoi Paul Gauguin a-t-il indirectement influencé la naissance de Polynesia ?

En avril 1891, Paul Gauguin abandonne la France où sa peinture végète, et vogue vers Tahiti. Hélas, malade quelques mois plus tard, il revient en France. Afin d’oublier Paris et ses grisailles, il fait revivre "Tahiti la parfumée" en écrivant an 1893-1894 NOA NOA (Le Parfum).

Le texte est accompagné de nombreuses esquisses et aquarelles et un passage s’inspire d’une légende polynésienne. Elle évoque Ruahatu, une sorte de Neptune polynésien. Paul Gauguin raconte une sortie en mer sur une grande pirogue avec des Polynésiens. Ils sont partis pêcher des thons. Comme Gauguin s’étonne que l’on ne laisse pas filer une grande longueur de ligne, on lui répond que l’endroit est sacré, qu’il s’agit du trou à thons de Ruahatu et qu’un jour un pêcheur eut l’impudence d’accrocher la chevelure du dieu avec une ligne d’une longueur exagérée. Alors ...

<<< … Ruahatu lui dit d’aller sur le Toa Marama qui d’après les uns est une pirogue, d’après les autres une île ou une montagne, mais que je nommerai Arche, remarquant seulement que Toa Marama signifie Guerrier de la Lune, ce qui me fait supposer que l’Arche quelconque et l’ensemble de l’événement du cataclysme ont quelque rapport avec la lune … Quand le pêcheur et sa famille se furent rendus à l’endroit indiqué, les eaux de la Mer commencèrent à monter et couvrant jusqu’aux montagnes les plus élevées, firent périr tous les êtres, à l’exception de ceux qui étaient sur ou dans le Toa Marama, et qui, plus tard, repeuplèrent les îles ou la terre. >>>

En 1895, Paul Gauguin ajoute de nouvelles aquarelles dans NOA NOA. Sur l’une d’entre elles, on peut voir deux Polynésiens nus, plus ou moins allongés sur le récif barrière, regardant vers le large les eaux de la mer commençant à monter, et rappelant le contexte de la légende.

d’après une aquarelle de Paul Gauguin

Mais Paul Gauguin doute de ses qualités d’écrivain et il confie au poète Charles Morice le soin de réécrire son travail. Le résultat est décevant et l’exorcisme tenté avec NOA NOA pour faire revivre l’île mythique ne fonctionne pas. Gauguin recopie alors de sa main ses propres écrits et les emporte avec lui à Tahiti. C’est son second départ et nous sommes toujours en 1895.

A Tahiti, il continue d’orner son oeuvre de superbes aquarelles, de dessins de bois gravés et autres. Le tout sera conservé plus tard par son ami Daniel de Monfreid (le père d’Henry de Monfreid), puis par le Louvre.

En 1901, Morice réalise de lui-même un NOA NOA. Gauguin grince des dents et à Tahiti il glisse lentement vers l’abîme. Le voici à Atuona, aux Marquises, sur l’île de Hiva Oa. Il y meurt le 8 mai 1903, à 55 ans, de maladie et de désespoir, rejeté par tous.

Malgré tout, et là est notre chance, Morice a conservé le manuscrit original. Il le vendra en 1908. Pendant des années, on ne connaît qu’un NOA NOA celui de Morice. Il faudra attendre 1966 pour qu’un éditeur parisien, Jean Loize, publie l’original de NOA NOA avec les illustrations de Gauguin, dont l’aquarelle des deux Polynésiens regardant les flots se briser sur la barrière de corail de Tahiti.

NOA NOA semble être la seule émergence de bonheur que Gauguin aura exprimée autrement que par ses tableaux.

Au début des années 1990, l’une de mes filles m’offre une affiche. En haut de celle-ci, la légende de Ruahatu, en bas, une reproduction de l’aquarelle avec les deux Polynésiens. Cette affiche restera bien en évidence, pendant des années, sur l’un des murs de mon bureau à l’Université de La Rochelle.

En 1998, nous décidons, ma femme et moi, de nous faire construire un voilier en aluminium de 50 pieds.

En 1999, l’opportunité d’une mutation à l’Université de la Polynésie française s’offre à moi. Nous partons pour Tahiti et le nom de notre voilier, alors en construction, s’impose à nous : il s’appellera le Toa Marama, la pirogue mythique de la légende de Ruahatu.

En 2003, alors que nous franchissons à la voile avec le Toa Marama la passe Toahatu de l’île de Tahaa, proche de Bora Bora, je commence l’écriture du premier tome de Polynesia..

La légende de Ruahatu en constituera le point de départ.

Les anciens Polynésiens demeurent les plus grands navigateurs de tous les temps. Partis d’Asie du sud-est il y a plusieurs milliers d’années avant notre ère, sans aucune technologie et riches de savoirs oubliés, ils vont conquérir, contre les vents, à l’aide de catamarans performants, toutes les îles du plus grand océan de la Terre contenues dans un vaste triangle dont les sommets sont Hawaï, la Nouvelle Zélande et l’île de Pâques, et le centre, la Polynésie française. Ils peupleront des milliers d’îles, créeront un véritable continent océanien, et y développeront une culture originale. Tout cela bien avant que les navigateurs européens du XVIième siècle, les soi-disant découvreurs de ces îles, ne les voient monter à l’horizon.

Voir le très beau livre NOA NOA aux Ed. Avant & Après - Papeete Tahiti